Heureux hasards

De Montréal à Boston, récit d’une joyeuse odyssée cyclotouristique.

Ce n’est que deux semaines précédant notre départ que nous réalisâmes ce qui nous attendait : 650 kilomètres et 4000 mètres de dénivelé positif, le tout en 6 jours. Dans un éclair de lucidité, nous demandons à chatGPT de nous suggérer un programme sportif afin de préparer au mieux notre condition physique. Sa réponse demeura tout aussi cinglante que glaçante. Il nous proposait de parcourir entre 50 et 100 kilomètres par jour, durant les 14 prochains jours. Avions-nous vraiment envie de mettre autant de temps et d’énergie dans ce programme robotisé ? Définitivement non. Nous décidons tout de même de tester les sensations d’une étape de 100 kilomètres sur une selle. Ce que nous effectuons à deux reprises sur les week-ends qu’il nous restait, sans les dénivelés.

Ce fut notre seul et unique entraînement pour ce périple.


Nous partons la fleur au fusil sur les coups de 10 h, après nous être rassasiés d’un copieux petit déjeuner. La planification de cette première journée est à l’image de nos préparatifs, proche du néant. Un arrêt à Chambly est nécessaire afin de se munir de nouvelles sacoches. Ne les ayant pas ou peu expérimentées, elles se détachent du porte-bagages à chaque soubresaut, peu pratique. Ce premier déboire passé, nous profitons de notre premier déjeuner à Saint-Jean de Richelieu , situé à 40 km de Montréal, dans l’intention de vérifier combien de distance il nous reste à parcourir. Nous avons réservé pour cette première nuit une auberge avec piscine, pensant que nous pourrions patauger dedans et refroidir nos muscles à l’heure du goûter. Mais il est 14 h et nous avons du mal à cacher notre déception en voyant s’afficher les 80 kilomètres subsistants, adieu chaises longues. Les paysages identiques de champs à perte de vue s’enchaînent. Les pistes cyclables ombragées restent agréables à utiliser. Les dix derniers kilomètres en montée sous le soleil encore brûlant à côté d’une route à forte affluence mettent nos nerfs à dure épreuve. Effort contrasté par notre arrivée à l’auberge de Knowlton qui se déroule en toute quiétude, nous sommes les seuls clients. Le gérant nous confie les clés de son établissement avant de rentrer chez lui. Nous sommes maintenant les heureux propriétaires d’une bâtisse de 50 chambres. Après application d’un peu de vaseline réparatrice permettant des futurs moins douloureux sur la selle, nous voilà en route pour la marina afin de récupérer de quoi nous sustenter. Nous en profitons au passage pour glisser un orteil dans l’eau de la piscine. Demain, nous avons prévu de traverser la frontière américaine à vélo en passant par un petit poste de douane. Nous espérons que l’aventure ne va pas s’arrêter là.

Nous nous levons à 8 h et vérifions la météo afin de ne pas avoir de mauvaises surprises. Encore aujourd’hui, le thermomètre dépasse les 30°. Nous remplissons les gourdes et nous nous dirigeons vers le café le plus proche. Café qui ne paye pas de mine avec un excellent petit déjeuner accompagné de son cappuccino au lait d’avoine. Enfin, nous nous remettons en route. Les cinq premiers kilomètres en montée demeurent douloureux et les courbatures font leurs premières apparitions. Cependant, les 20 km suivants se déroulent en descente et nous permettent donc d’apprécier un échauffement tranquille. Nous apercevons les montagnes du Vermont au loin, regrettant déjà les terrains plats de la veille. La fin de cette matinée nous amène directement au poste-frontière. Le douanier nous accueille avec l’amabilité d’un douanier, c’est-à-dire qu’il sait où placer la barre du sourire, et c’est plutôt bas. Il nous pose des questions sur le lieu de notre première rencontre, ce qu’on va effectuer à Boston, à quelle date nous sommes arrivés au Canada… En somme des thèmes qu’on énoncerait à un touriste qu’on vient de croiser dans un bar excepté que là, une mauvaise réponse peut nous mener en cellule. Les menottes fixées au banc ne nous rassurent pas. Dix longues minutes plus tard, nous franchissons la frontière munie de notre passeport tamponné USA. Le cliché de la ville américaine est aussitôt vérifié. Des dizaines de drapeaux américains plantés dans les jardins flottent au gré du vent et un panneau LED accroché sur la devanture d’une église catholique vante les mérites du pasteur du village. C’est à partir de cette deuxième étape que nous prenons plaisir à croiser d’autres cyclistes et à les saluer. Dans l’ensemble, souhaiter une belle journée à tous les gens que nous rencontrons sur la route, ce qu’il est tristement impossible d’exprimer à bord d’une voiture. À 13 h, le soleil frappe fort, nous décidons de nous arrêter dans une ville à la recherche de nourriture. Nous sommes pris de court, car le plat principal local reste le burger qui ne figure malheureusement pas dans notre alimentation végétarienne. Nous sommes sauvés in extremis par un Subway juxtaposé à une station-service. Nous voici en train de dévorer notre premier repas américain. Quelques kilomètres après notre départ, un porte-bagages se fait la malle (sans mauvais jeu de mots). Nous nous posons donc sur le bas-côté à la recherche de la vis perdue, sous l’atmosphère étouffante de l’après-midi. Cinq minutes plus tard, un jeune garçon sort de sa maison, une limonade à la main et nous l’offre, une délicate attention qui mérite cet hommage dans ce récit. Au Vermont, les routes de voitures sont constamment agencées d’un sentier dédié aux engins non motorisés. Malheureusement, ces chemins sont confectionnés de terre et se transforment parfois en pentes giboyeuses et ensablées. Une monture profita de cette occasion pour s’y embourber. Cette voie boueuse fut suivie de ce que l’on renomma la ligne rouge. Un sentier parsemé de petits graviers sur lequel les pneus de route n’adhèrent pas , mettant les cuisses à rude épreuve. Plus désagréable encore, le guidon vibre, manquant de déboîter les poignets, les épaules et le dos. Arrivés à 17 h dans la seule auberge du coin, nous prenons le temps de nous désaltérer et de nous préparer pour la troisième journée pour laquelle nous n’avons prévu ni itinéraire ni point de chute !

La nuitée est courte et peu intense, notre chambre étant située au-dessus de la porte d’entrée de l’auberge qui n’arrêtait pas de claquer. Le temps d’avaler deux tranches de muffins et nous voilà repartis pour notre troisième journée. Le désagréable repos est vite oublié par les 20 km de sentiers composésd’anciens ponts ferroviaires et de paysages montagneux. Il y a moins de cyclistes que la veille, suffisamment pour continuer à apprécier les chaleureux « good morning ». Nous nous délectons des monts verdoyants à perte de vue, cette région du Vermont porte décidément bien son nom . Nous nous octroyons une courte pause, le temps de trouver notre prochaine destination pour le déjeuner. Nous jetons notre dévolu sur un petit café situé à une vingtaine de kilomètres. Après la douceur du sentier, nous voici de retour sur la rigueur de la route un peu assourdissante à cause des 33 tonnes passant à côté de nous de vives allures. Toutefois, la bande d’arrêt d’urgence /piste cyclable nous laisse quand même un peu de marge de manœuvre. Nous développons un sixième sens qui consiste à deviner la taille et l’apparence d’une voiture au seul bruit de son moteur. Nous avons cependant du mal à différencier les gros camions de marchandises des énormes trucks. Une montée douloureuse fut suivie d’une glissade de 2 km à grande allure pour finir dans le petit café de Stowe. Très agréablement surpris par la qualité de la nourriture et des breuvages. Il est 13 h 30 et notre seule envie jouxtant ce repas est de s’allonger et dormir. Mon camarade Antoine commence d’ailleurs à ronfler. La deuxième partie de la journée est un peu plus compliquée. Elle démarre par l’achat d’une nouvelle paire de gants, car les mains apparaissent toutes rouge dû aux tremblements du guidon sur les pistes de sentier. S’ensuivit une montée de dénivelé de 700 mètres en une trentaine de minutes, un effort intense accompagné des 30° qui tape sur le crâne à travers le casque. Au bout d’un certain temps, nous arrivons à caler notre pédalage sur notre souffle. Nous avons l’impression de réapprendre à respirer. C’est toujours aussi pénible, mais au moins nous avançons avec la confiance d’arriver à bon port. Nous avons l’impression de grimper la pente moitié après moitié sans jamais en voir le bout. En haut de la côte, délivrance, la douce joie du vent de la descente annihile la peine de la montée. Nous essayons cependant de faire attention, car à cette vitesse le moindre écart de chaussée pourrait nous être fatal. La concentration sur la route reste une routine à laquelle nous nous sommes rapidement habitués, une sorte de méditation forcée de plusieurs heures par jour. Mais ça ne sera pas sur la pente qu’un problème surviendra. En effet, voici venue l’heure de la première crevaison, 5 minutes avant l’arrivée, quelle aubaine ! Nous réussissons cependant à changer la chambre à air promptement et nous voilà parvenus à notre troisième cocon locatif. Petit plongeon dans la piscine ouverte juste pour nous et dégustation d’un cidre normand pas tout à fait local. Demain, il pleut, une nouveauté que nous avons hâte d’expérimenter.

Une agréable nuit silencieuse comparée à la veille. Nous prenons le petit déjeuner américain de campagne dont nous avons maintenant l’habitude, pancakes de la taille de l’assiette et fromage à la crème monté sur son bagel. Au moment de poser les fesses sur la selle, les premières gouttes tombent, ô joie ! Cependant, nous sommes plus préoccupé par le pneu, mal remis de sa crevaison, que par les nuages qui s’affolent. La prochaine boutique de vélo est située à une trentaine de kilomètres. Heureusement, nous résidons en haut d’un col et ce matin ne sera que descente. Les paysages pluvieux apportent une atmosphère féerique, la brume se glissant entre les arbres larmoyants. L’odeur de la terre mouillée et le peu de circulation transforment cette heure d’inquiétude en temps de plénitude. Dans la vallée, nous nous faisons doubler par un, puis deux, puis cinq, puis une dizaine de cyclistes. Mais que se passe-t-il donc ? Une course ! Et nous nous trouvons dedans. Nous entamons un dernier sprint jusqu’à la boutique afin de monter sur le podium, bien évidemment. Nous entrons alors dans une vraie caverne d’Ali Baba. Des vélos par centaines, des pédaliers, des dérailleurs, des guidons, des selles, entretenus de longue date par de vieux loups de mer. L’ambiance chaleureuse nous force à conter notre aventure, un peu écourtée du fait de notre patois peu habitué à des accents si prononcés. Le pneu est remplacé et la chambre à air gonflée. Nous sommes prêts à affronter cette deuxième partie de journée sous le gourou de Zeus, dieu de la pluie. Mais avant, place à la boustifaille située à quelques mètres de là. Nous observons les cyclistesdéfier les torrents d’eau à coup de pédales. La pause déjeuner se prolonge sur 2 heures. Un gros milk-shake au café en sonne le glas. Le départ est compliqué. La sérotonine ne subsiste plus dans le sang, les vêtements sont mouillés, nous commençons doucement à trouver l’averse longue. Les paysages toujours aussi beaux et détrempés se succèdent par une montée d’une vingtaine de kilomètres. Des ruisseaux coulent le long de la route et viennent se déchaîner contre nos roues qui glissent à reculons. Éclaboussures, sueurs et pluie torrentielle, pénible cocktail de cette fin de journée. Tandis que nous arrivons enfin à l’auberge, le réceptionniste nous accueille avec son discours habituel de bienvenue. Nos oreilles frémissent quand nous entendons que le jacuzzi ferme sous peu. Un jacuzzi dites-vous ? Cinq minutes plus tard, nous sautons de l’eau subite vers l’eau bénite. Pour finir la soirée, le hasard accomplissant bien les choses, un restaurant semi-gastronomique se situe à quelques mètres de notre hébergement. Nous allons pouvoir nous ravitailler correctement avant d’entamer la plus difficile et tortueuse journée de notre expédition, 100 kilomètres sur 1100 mètres de dénivelé positif, le tout dans nos habits humides.

Nous appréhendons quelque peu cette journée. Le petit déjeuner n’apparaît pas copieux, mais suffira à nous faire patienter jusqu’à midi. Étant servi sur place, il présente l’avantage de nous permettre de poser rapidement le pied sur l’étrier. Durant les cinq premières minutes, nous dévalons l’heure d’ascension de la veille. S’enchaînent ensuite des paysages montagneux, parsemés de lacs, de tracés lisses, de peu de trafic et d’oiseaux toujours aussi vivants, heureux de chanter le printemps. Nous profitons d’autant plus de ces paysages demeurant au fait que quelques kilomètres plus loin nous attend la montée la plus abrupte de notre voyage. Enfin, elle apparaît là, en face de nous, débutant sur une route cabossée. Nous ne regardons pas le GPS de peur de nous démotiver, nous savons que nous avancerons jusqu’au bout quoiqu’il arrive. Nous croisons trois cyclistes qui descendent et qui nous saluent avec un grand sourire, mauvais signe. Le dénivelé démarre à 8 %, pour finir à 12. Et en même temps, la nature apaise l’effort, nous nous trouvons sous les arbres, le soleil ne nous harcèle pas directement, il ne pleut plus et la température apparaît idéale. Trente minutes plus tard, nous voici en haut dégoulinant de sueurs, mais fiers de ne pas avoir mis un pied à terre. Nous attrapons nos gourdes et récompensons nos muscles à coup de grosses gorgées d’eau, pressé d’entamer la descente. Prenons d’ailleurs un instant pour en parler. Le plus plaisant n’est pas la descente en elle-même. Si nous n’avions fait que descendre, la jouissance aurait été moindre. Le vrai plaisir provient de l’écart émotionnel entre l’effort intense et l’effort néant. Nous en venons à apprécier les hauts dénivelés, sachant qu’après une descente s’ensuit. L’adrénaline de la vitesse et la sérotonine sécrétée par les muscles au cours de la montée transforment ces quelques minutes en moments de joie pure. Nous crions, nous hurlons, nous sommes les rois du monde durant ces courts instants. Et si parfois nous mettons un pied à terre lors de l’effort, ce n’est pas une défaite. D’autres luttes suivront sur lesquelles nous prendrons l’avantage. Au bas de cette montagne, la transition entre la frontière du Vermont et du New Hampshire apparaît rude. Nous passons des doux paysages verdoyants aux quatre voies américaines, sponsorisées par la poussière et les monstres carbonés mécaniques. La maigre piste cyclable à notre disposition est garnie de trous, ce qui ne facilite pas notre avancée. Pour ce midi, nous avions décidé d’aller manger à l’unique restaurant de la contrée qui proposait des plats végétariens. Malheureusement une fois devant, un taudis à moitié abandonné nous attend. Nous sommes entourés de Pizza Hut, McDonald’s et Burger King qui règne en maîtres dans ses vallées infernales. Notre seule solution consiste donc à chercher de quoi se sustenter dans le supermarché du coin puis de le consommer sur le parking. Nous n’y resterons pas longtemps, au grand regret de nos cuisses encore chaudes. Nous démarrons par un doux sentier dans la forêt un brin cahoteuse pour les pneus de route.Nous traversons une fois de plus un ancien pont ferroviaire et croisons deux enfants conduisant chacun leur quad, les parents à l’arrière. Parlons maintenant des calculs de dénivelé des applications de cartographie. Pour cette aventure, nous nous sommes munis de Google Maps et de Komoot afin d’optimiser l’itinéraire en fonction des différents styles de chaussées, du trafic et des inclinaisons. Google Maps n’est vraiment pas fort avec les angles. Komoot n’est pas très précis. Il est donc compliqué d’estimer avec certitude dans quelle situation nous nous retrouverons dans les cinq prochains kilomètres. Cet après-midi resta incontestablement notre pire désillusion concernant l’effort physique qu’il nous restait à accomplir, qu’à cela ne tienne. À coup de pied à terre, d’hydratation et de jurons, nous arrivons à destination. Nous avions réservé cet hôtel la veille sans trop savoir à quoi se préparer et une fois de plus nous ne sommes pas déçus de l’endroit. Étant en basse saison, les gîtes haut de gamme gisent vides et financièrement accessibles. Une piscine nous attend, il est grand temps d’un plouf. Ce soir, le seul pub du coin est irlandais, notre dévolu est donc jeté sur un fish & chips, toujours aussi régional. Un petit concert est au rendez-vous, de même qu’un accent qui se veut de plus en plus incompréhensible pour nos oreilles chauvines. Plus que deux jours, sous une pluie potentielle, et à nous Boston !

Aujourd’hui s’annonce mentalement compliqué. La pluie est de retour, pas de restauration salvatrice en chemin et l’hôtel que nous avons réservé est situé sur une aire d’autoroute. Nous sentons Boston se rapprocher avec sa zone industrielle. Nous entamons la journée avec un petit déjeuner à la boulangerie locale qui n’est ni plus ni moins qu’un distributeur équipé d’un four qui nous cuit un bagel. Nous n’avons décidément pas hâte que cette journée commence. Cependant, une fois sur le vélo et les premières courbatures derrière nous, nous nous remettons à apprécier la nature qui nous entoure. D’autant plus que cette dernière s’est dotée d’une nouvelle capacité, le vent. Nous avions éprouvé de fortes chaleurs et la pluie. Voici que nous expérimentons maintenant la résistance de l’air face à nos mouvements. Les descentes se muent en terrain plat, les terrains plats se transforment en montée et les montées quant à elles n’offrent pas plus de résistance que d’habitude due à notre lenteur. Nous pourrions nous plaindre de notre sort, cependant ce vent nous a sauvés de quelques problèmes respiratoires. Les forêts canadiennes sont en proie aux flammes et génèrent des cendres à des milliers de kilomètres à la ronde, Montréal est d’ailleurs ce jour-là la ville la plus polluée au monde. Quoi de mieux que notre mode de transport décarboné pour ne pas aggraver la situation ? Le vent qui nous arrive de face garde les particules loin de nous et nous permet de respirer un air propre venu tout droit du golfe du Mexique. À contrevent donc, mais les poumons sains et sereins. Nous hésitons à faire demi-tour devant une pancarte présageant un danger mais décidons d’aller de l’avant. Sage décision car nous déboulons sur un magnifique parc régional juste avant notre pause de mi-journée. Le trajet apparut moins éprouvant que nous le pensions. Pas une seule goutte de pluie jusqu’au déluge en début d’après-midi, alors que nous nous trouvions à l’intérieur d’une supérette afin d’y acheter notre déjeuner. L’heureux hasard frappant pour la énième fois. Tandis que l’eau s’abattait sur le bitume, nous effectuâmes la rencontre d’un personnage intéressant. Il complimenta nos vélos avant de commencer à conter sa vie. D’après ses dires, il était le créateur des pédales à clips et en avait eu l’idée en travaillant chez Salomon en France à l’époque pour les fixations de ski. Nous sommes quelque peu étonnés de croiser un individu aussi brillant et connu dans son domaine dans un village rural et loin de tout. Tel un homme d’affaires américain, il nous vante les mérites de son génie et nous offre une réduction sur sa prochaine trouvaille : de nouveaux ancrages futuristes pour les skis. Nous apparaissons dubitatifs quant à la véracité de ses propos, néanmoins après vérification nous nous rendons compte que nous avons bel et bien rencontré l’inventeur de ces clips qui nous ont permis de moins peiner lors des montées. L’orage s’arrête. Nous reprenons l’itinéraire jusqu’à notre destination : une aire d’autoroute. Ici, la voiture est reine, pas de corridor pour les piétons, pas de casier à vélo dans les hébergements. Les gens vont de l’hôtel au restaurant dans leur pick-up, au diable les quelques minutes de marche en extérieur. Heureusement, nous ne sommes que de passage, car demain c’est le grand jour. C’est l’arrivée à Boston.

Sommeil peu réparateur sur cette aire d’autoroute, mais agréablement surpris par le petit déjeuner bien achalandé qui nous transportera sur les 80 km restants. Le vent demeure encore présent et le trafic ubiquitaire lorsque nous entamons les premiers kilomètres.Nous traversons les zones industrielles logées entre Boston et les montagnes. Les pick-up nous dépassent à vive allure, le bicycleux n’apparaît décidément pas comme étant le bienvenu ici. Nous nous forcerons un passage tant bien que mal durant ces 30 km qui nous séparent de la voie cyclable. En chemin, Google Maps, le spécialiste des raccourcis, nous fait emprunter la forêt. Même si nous devons mettre le pied à terre, c’est très agréable de humer la mousse des arbres, et de la terre, encore humide de la veille. Nous croisons par trois fois un promeneur avec son chien qui nous indique la piste à prendre. Il déboulait d’on ne sait où de derrière les fagots. On aurait dit une caméra cachée. Enfin, le corridor ombragé tant attendu nous amène d’une traite à Boston. Les pick-up se font graduellement plus rares, remplacés par des voitures citadines. Les conducteurs apparaissent de plus en plus respectueux et les voies dédiées au vélo se trouvent progressivement plus larges. En contrepartie, moins de salutations de la part des autres cyclistes, davantage habitués à en voir d’autres. Au fur et à mesure que nous nous enfonçons dans la ville, les bâtiments grandissent autour de nous. Les premiers gratte-ciel émergent. Les feux rouges à chaque intersection nous freinent. Nous passons devant Harvard, puis le MIT, mais nous n’avons qu’une seule idée en tête. Avant même de se prendre en photos au devant de ces fameuses institutions. C’est de poser nos vélos, laver nos affaires, puis nous débarbouiller. Et dire qu’enfin nous l’avons fait. Nous l’avons fait.

Rétrospectives

« La liberté. C’est ça qui m’a marqué pendant ce voyage. La liberté de se lever quand on est prêt, de manger quand on a faim, de se coucher quand on est fatigué. Pas d’horaire à respecter, juste le temps à apprécier. Elle est extraordinaire d’ailleurs, la notion de temps sur une aventure comme celle-ci. On voit tellement de paysages, de gens ou même d’architectures en une journée, qu’elle nous en paraît en durer plusieurs. En une semaine, j’ai eu l’impression de vivre plusieurs mois. Et pourtant, je me suis moins ennuyé que pendant les quelques heures de voiture sur le retour. J’ai vécu chaque moment à 100%, et qu’est-ce que ça fait du bien. Les montées qui brûlent les cuisses et réduisent les fesses en miettes, m’ont fait me dépasser à plusieurs reprises. En puisant au fond de moi-même je me suis rendu compte que j’étais capable. En fait, si le mental veut, le corps suivra. Et puis, après les montées viennent les descentes. Elles me faisaient oublier instantanément la douleur dans les jambes, la pluie battante ou encore la chaleur. Chaque sensation est décuplée sur le vélo, comme si le corps reprenait vie. C’est ça en fait, la vie. Faire de chaque instant une expérience intense et accueillir ces sensations. Idéalement même, partager tous ces moments pour en garder une trace encore plus mémorable. Pour ça, je remercie chaleureusement Alexis de m’avoir accompagné sur ce trip. 15 ans que l’on se connaît, et pourtant j’ai eu l’impression de tout juste le rencontrer pendant ces 7 jours. Alors maintenant, il ne nous reste plus qu’à planifier le prochain voyage. Car oui, il est inenvisageable de ne pas recommencer.»


«650km, sur le papier ce nombre me laissait sceptique quant à mes capacités physiques, de surcroît avec un entraînement proche du néant. Je ne doutais pas d’y arriver mais je redoutais de subir un effort constant durant le trajet. Force est de constater qu’il ne me fallut qu’une journée pour m’adapter à cette nouvelle routine et vivre une expérience hors du commun. Plus concrètement, arrêtons de justifier nos inactions par notre peur de l’échec. Offrons-nous l’opportunité d’échouer concrètement au lieu de nous laisser influencer par nos propres scénarios pessimistes.
Ce périple m’a aussi permis d’assouvir ma soif d’aventure sans dégrader notre planète. Il m’a démontré que d’autres imaginaires étaient à portée de pédales sans nécessairement avoir besoin de se téléporter à l’autre bout du globe. À toutes celles et à ceux qui désirent s’évader de leur quotidien en parcourant le monde une semaine à la fois, je vous invite à vous lancer dans une aventure cyclotouristique similaire, à votre rythme, et ainsi prendre soin du Vivant.»

Rédigé le 16 Juin 2023 à Montréal par
Antoine & Alexis